Samedi 20 juillet
A cinq heures, fin prêt, je sorts de ma propre ger et croise le regard livide de Erden-Geraar, tout propre, debout auprès de sa voiture. Je viens de comprendre d'un coup, qu'il a passé la nuit dans celle ci.
Hier au soir, prétextant, non sans raison, l'abondance des moustiques, il voulait dormir dans « ma ger ». Lui ayant mis en place la deuxième couchette, il s'est présenté avec la bouteille de vodka non encore terminée.
Comme il n'en finissait pas de se coucher, d'allumer et d'éteindre, de demander à boire, j'ai compris en lui tendant ma bouteille d'eau sortie du frigo, que c'était donner le coup de grâce à sa propre bouteille, qu'il souhaitait que nous nous attaquions.
Désirant dormir au plus vite vu l'heure tardive et le lever matinal prévu, je lui ai donné le choix entre jouer les bourreaux de bouteille seul à sa « dom » ou fermer la lumière et dormir dans la mienne.
Il est sorti, laissant son anorak sur le lit.
Sa tête livide ne laisse aucun doute sur la « gueule de bois » qui est la sienne. La fraicheur marquée de la nuit a t-elle rendu insuffisant le reste de vodka de la soirée ?
Seule la nécessite de résoudre avec moi, l'énigme du labyrinthe de certaines zones marécageuses, l'ont amené à se manifester un peu. Autrement, il fut un passager des plus calme, récupérant de sa nuit. Pas moins de quatre heures pour parcourir ces 85 km jusqu'à Choybalsan. Une bonne demie heure d'entre elles a été passée, à patauger, pantalon relevé, pour sonder les zones les moins molles de certains fonds de vallon !
À douze heures trente , je remettais en main propre, à monsieur son père, notre ivrogne en devenir, accompagné de ses deux roues.
Le projet du Chingisïïn dalan (mur de Gengis) n'est pas tout à fait éteint. Vu l'avance prise ces dernières quarante-huit heures et au regard de la carte, une petite route semble remonter vers Norovlin, l'un des emplacements de la « muraille de Gengis » sur la route de Bayan Uul, l'échec du premier jour. La route que je parcours actuellement de Choybalsan à Ondörhaan, longe théoriquement la rivière Erleen qui traverse toute la région après avoir pris sa source dans les montagnes Hentïï. La steppe gigantesque traversée cette après-midi me l'a totalement masquée. Ma route donc, va passer dans à peu près 70 km au village de Bayan-Ovoo. C'est là le départ de cette piste qu'il faudra examiner. Inutile si l'orage qui menace ce soir mon bivouac au petit lac Ereen Nuur, remouille un sol qui sèche sous le soleil de ces trois derniers jours.
Dimanche 21 juillet
Quelques gouttes ce matin sur mon bivouac, mais pas suffisant pour modifier l'état du sol de la piste essentiellement sablonneux. La route pour Norovlin est préparée dans le GPS par way-points. C'est au village de Bayan Ovoo que devra être abandonnée la piste principale pour en emprunter une dessinée d'un trait rouge fin sur ma carte. En général ce genre de tracé est considéré comme peu recommandable pour nos véhicules. Idée toute faite où fondée ? Car depuis peu je me pose cette question : laquelle des pistes a le plus de chance d'être en bon état ? Celle très utilisée que la plupart du temps une petite parallèle nettement plus roulante permet d'éviter où une petite piste tracée, mais peu fréquentée ? J'ai ma petite idée sur la question et me propose d'en vérifier le bien-fondé sur le trajet de Norovlin.
Enfin, l'Herlen Gol dont je suis le cours depuis Choybalsan, se décide à apparaître. Elle décrit ici de grands méandres ce qui fait le bonheur des chevaux qui semblent adeptes de l'hydrothérapie.
Les reliefs disparus depuis deux jours renaissent alentour, il fait beau, c'est magnifique.
La piste est bonne ce qui permet de rallier Bayan Ovoo en tout début d'après-midi. Le 4x4 fait ses pleins et nous voici partis à la recherche de la petite piste de ma carte. À peu près sur de l'avoir dénichée, deux motards à qui confirmation est demandée, acquiescent, mais semblent vouloir m'indiquer beaucoup de choses en tournant mon volant, en désignant la carte puis mon GPS, en affichant une dizaine de doigts, mais mon neurone reste sourd aux explications. Du coup à deux sur leur moto, les voici partis en « poisson-pilote » et me sortent du village par une piste assez moyenne et qui ne semble pas pour l'instant correspondre à ce que j'ai prévu et préparé dans mon Garmin.
Je décide de faire confiance et m'engage sur une trace qui devient très vite excellente jusqu'à l'approche d'un joli lac à quelques kilomètres le Gürmiyn nuur.
Là, les choses se compliquent un peu lorsqu'il faut le contourner par l'Ouest et au bord de l'eau avec comme seuls repères de vagues traces de pneus serpentant entre sable et zones herbeuses à proximité d'une berge boueuse. Quitte à me faire un peu plus secoué, je progresse d'herbe en herbe évitant au maximum les terrains meubles.
Le ciel s'est bien couvert et la situation ne me paraît pas très confortable d'autant que je ne devine aucune sortie de ce bord de lac. La gestuelle de mes motards me revenant en mémoire, je crois maintenant comprendre qu'une dizaine de kilomètres n'était pas bien bonne et qu'il ne fallait pas être faignant du volant. A priori faire confiance étant mon principe de base, je l'applique et fini par trouver plein nord du lac, une petite piste de sortie. Malgré sa taille elle est bonne et semble se diriger vers un hameau nommé Sümber à une dizaine de kilomètres direction N-N-Est. Ce n'est pas là l'orientation que j'espérais cherchant plutôt à me diriger N-N-Ouest. Je persiste tout de même et la piste toujours marquée que de deux traces de terre en pleine steppe, devient excellente. Un vrai billard permettant de tenir assez régulièrement une allure entre quarante et cinquante kilomètres-heure, ce qui ne m'était pour ainsi dire jamais arrivé.
La direction tire toujours légèrement Est et très vite je me retrouve distant d'une vingtaine de kilomètres de ma trace initiale. Le décor est magnifique, la nature du sol en gros sable dur peut permettre un retour dans n'importe quelles conditions, je continue.
La traversée ainsi de plusieurs hauts plateaux de steppe serpentant entre des reliefs de plus en plus accentués est un régal. Tout à coup, alors que la moitié de l'itinéraire est parcouru, l'orientation de ma mini autoroute repique droit sur l'itinéraire que j'avais prévu.
Un orage éclate derrière moi et me course alors qu'au loin, vers Norovlin, le soleil perce toujours. Je suis au sec et joue de cette situation. Seules quelques rares petites gouttes atteignent parfois le pare-brise obligeant à petits coups d'essuie-glaces.
À six heures trente, ayant retrouvé mon projet d'itinéraire et me trouvant hors d'atteinte des gros nuages noirs de l'orage, se présente un beau petit Ovoo. ll marque un col au pied d'un petit sommet herbeux côté 1594 m sur la carte, le Delger Han Uul.
Le vieux guide qui sommeille toujours en moi, décide le bivouac et l'ascension. Le rythme est un peu sénatorial, car à force de sommeiller, il est sûr que la forme olympique n'est plus qu'un vieux souvenir !...mais la liste de courses s'est encore
un peu enrichie... Ah ! J'oubliais !...ce n'est pas parce que le sol est jonché d’edelweiss qu'il faut marcher dessus en sortant de ma ger !
Lundi 22 juillet
Il aura mis le temps, mais il a fini par nous rattraper ce matin cet orage. La grasse matinée eut été la bien venue, si je ne m'étais souvenu avoir remarqué sur le toit, la perte du chapeau de cheminée. Si je ne veux pas voir se transformer mon intérieur en piscine, il va falloir agir et vite. C'est ce que l'on appelle la motivation...
Heureusement que j'ai trouvé le moyen, il y a deux jours, d'atteindre le toit du véhicule sans l'échelle que je n'ai pas...Donc, ni une ni deux, debout, et pour ne pas tremper ses affaires, nu comme un ver (il n'y aura pas de photo...) je vais placer le chapeau de rechange prévu tout exprès.
Encore un peu de temps sous la couette pour réchauffer la carrosserie et laisser s'évacuer l'eau de la piste et l'occupation blog est toute trouvée en remplacement de la conduite. On ne roule pas par un temps pareil !...Sauf...la moto qui vient d'arriver transportant un papy et son petit fils de douze ou treize ans. La pluie a cessé et j'ai l'honneur de leur visite. Ils circulent entre deux averses et ne s'attardent pas. En nous disant au revoir, je fais signe au gamin de fermer la fermeture à demi ouverte, de son seul haut de survêtement. Il s'exécute avec un sourire et les voici qui plongent dans la descente du col, rattrapés par l'ondée suivante.
Les nuages laissent filtrer par moment un peu des rayons du soleil et le sol semble à nouveau convenable.
Mon fidèle « canasson » prend donc la trace de la moto, me transportant bien au sec entre flaques d'eau et zones boueuses glissantes à souhait.
En arrivant sous le soleil à Norovlin, le plus facile n'est pas ce que l'on croit. Voir le fameux mur de Gengis qui y passe tout près est mon but, mais comment le trouver ? Je me lance donc à aborder plusieurs personnes qui me regardent plus comme un Martien que comme quelqu'un leur posant une question. Livre et carte en main, comment expliquer ce que je cherche ? Ils ne comprennent pas le moindre des mots que je tente de prononcer, mon livre les laisse de glace (savent-t-ils seulement lire?) et ma carte avec le mur signalé ne leur parle pas plus. Certains même se détournent me voyant arriver. Je ne suis pas très loin d'abandonner lorsqu'une horde d'enfants jouant dans ce qui me semble être une école me donne une idée. Il faut trouver l'un des érudits du village. S'il y a autant d'enfants, il doit y avoir un enseignant pas loin. Ce sont pourtant des ouvriers vidant un camion au dos de l'école, qui les premiers, comprennent ce que je cherche. Après bien des tentatives peu fructueuses d'explications pour m'indiquer la localisation du « mur », ils interpellent une demoiselle arrivant bien à propos. Elle n'est autre que l'institutrice et parle anglais. C'est comme cela que je découvre, à quelques centaines de mètres du village, guidé par un des ouvriers, monté à mon bord, un léger monticule de terre telle une légère voûte, s'étirant tout en longueur à travers la plaine ! Ici, c'est ça. Peut-être que plus loin la présentation en serait différente, mais pour le vérifier il faudrait s'engager sur une petite piste sûrement impraticable ce jour.
Effectivement après un kilomètre, une zone marécageuse, gorgée d'eau par l'orage du matin m'interdit tout passage. Je n'en serai pas plus sur ce célèbre "Chingisïïn dalan" et vous non plus...
Il n'y a plus qu'à redescendre dans la vallée, sachant que quatre-vingts kilomètres en aval, il y a quelques jours, par beau temps, j'avais du renoncer à poursuivre la piste, véritable bourbier par endroits.
La première petite route empruntée hier a été un succès, pourquoi ne pas retenter sa chance. Sous Batnorov, au nord-ouest de Norovlin un même genre de piste repique plein sud en direction de l'axe longeant la rivière Herlen gol, quittée la veille. Ainsi les mauvais passages seraient évités tout en me promenant sur d'autres sites. L'absence de celle-ci sur mon GPS et l'imprécision de ma carte me font m'engager sur une excellente trace répondant au départ à mes attentes. Mais, après une demi-heure, je dois me rendre à l'évidence. Ma trajectoire s'infléchissant sans cesse un peu plus Ouest ne me mènera pas où je l'escomptais, mais peut-être bien directement à Ondörhan où je dois de toute façon passer.
Ce sera la surprise de demain, car pour l'instant je bivouac sur un des superbes cols de cette piste. La nuit promet d’être belle sous la pleine lune.
Mardi 23 juillet
« Dzûûn Bayan Han uul » est le superbe nom porté par le non moins célèbre sommet rocheux culminant à 1394 mètres au-dessus de mon col. Celui-ci n'étant qu'à 1139 m d'altitude, l'ascension risque d'être éprouvante pour le « guidosse ».
Rares ont été les zones rocheuses dans cette Mongolie déjà visitée. Aussi vais-je profiter du magnifique granit qui jaillit ici au-dessus du bivouac. Une belle arête me tend les bras. Je la saisis à pleines mains et dans la demi-heure suivante, le tour est joué. Pour compléter le palmarès, les trois pointes rocheuses disposées en triangle pour dessiner cette célébrissime montagne, seront gravies, en réalisant ainsi la traversée intégrale.
De retour à la maison après une heure d'épreuve, le repos est déclaré d'utilité publique jusqu'à ce que lassitude s'en suive !
Une interrogation, qui restera sans doute sans réponse, me trotte en tête. Pourquoi les soirs au bivouac, alors que la nuit est tombée, suis-je presque à chaque fois dérangé par le passage de véhicules, alors que la piste est bien souvent libre la journée ? S’agit-t-il de ne pas être vue des mauvais esprits qui pourraient vous nuire ?
Ne riez pas, car en Mongolie chamanique bien sure, circuler est considéré comme une activité dangereuse. Il ne faut jamais indiquer explicitement son itinéraire ni même ses horaires ou encore le nombre de kilomètres restant à parcourir. Toutes ces informations doivent rester inconnues des forces surnaturelles régissant les lieux traversés ? Les esprits constituent toujours une menace potentielle qu'il faut pacifier à chaque Ovoo, d'où les offrandes qui y sont faites. Est-ce donc que la circulation nocturne cacherait l'usager des esprits malins ?
Entre le blog et les maintenances techniques indispensables, à cinq heures trente me voici au chaumage. Donc, pourquoi ne pas bouger un peu, mais pas de trop, à la recherche d'un nouveau bivouac.
Rangeant les dernières affaires encore en désordre, une moto s'invite à mes côtés. Lorsquele pilote se présente à ma porte, j'ai face à moi un policier en uniforme. La sacoche officielle qu'il porte en bandoulière officialise sa visite. Sans doute, alerté par quelques passants intrigués par le stationnement inhabituel en bord de piste d'un véhicule étrange, vient-il s'assurer que tout va bien et me quitte avec un grand sourire.
Dix kilomètres plus loin, la route principale longeant L'Herlen est rejointe. Elle pourrait en trente kilomètres me ramener à Ondörhan point de départ de toute cette boucle. Mais je jette mon dévolu sur une belle bosse surplombant la rivière. Elle sera sacrée belvédère pour la soirée.
Comme il y a de la place pour plusieurs et qu'il y a longtemps que vous n'avez plus eu l'occasion de jouer les voyeurs, en voici l'adresse : N 47,50994 E 111,01138. (NB: Je n’y suis plus!)